Petite balade dans mon ordinateur, et je retombe sur la première histoire écrite, inspirée par ma si vive Camille...
Il était une fois, il n’y a pas longtemps, mais alors pas longtemps du tout. « Il est une fois » en fait, une petite fille qui s’appelle Camille.
Elle aurait pu s’appeler Emilie ou Cécile, Mathilde ou Solenn (quoique non, parce que ces deux prénoms-là, son papa ne les aimait pas). Mais ses parents ont finalement choisi « Camille », car c’est un prénom qui pétille. Cela tombe plutôt bien, parce que Camille, elle aussi, pétille.
L’histoire commence par « il était une fois », car Camille est une princesse. Comme Cendrillon, elle a une jolie robe qui brille. C’est aussi sa marraine –qui pourtant n’est pas une fée !- qui lui a offerte. Camille enfile sa robe presque tous les jours, après l’école. C’est l’avantage quand les robes de princesse ont été offertes par des marraines pas fées. Elles durent longtemps, mais vraiment plus longtemps, que juste le temps d’un bal chez le prince.
Pour le prince, Camille a le temps : elle a seulement cinq ans. Seulement, me direz-vous ? En cinq ans, Camille a déjà eu : deux vélos, des points de suture, un sauvetage de noyade de justesse, trois bisous sur la bouche et un petit frère. Alors elle dit « j’ai 5 ans », et se passe du « seulement ».
Donc, Camille a cinq ans. Elle a aussi deux frères (un avant, un après), un chat, deux doudous préférés, sept invités à la fête de son anniversaire, trois desserts préférés, et au moins autant voire plus de plats qu’elle déteste.
Pourquoi les mamans s’escriment à préparer pour leurs enfants les poissons et légumes qu’elles-mêmes ne supportaient pas petites ? Camille ne le comprendra jamais. Ou peut-être quand elle sera grande. Mais elle, elle essaiera de se souvenir qu’elle n’aimait pas.
Avec tout cela, nous allions oublier : Camille a aussi deux maîtresses. Comme elles sont bonnes copines, et qu’elles ne voulaient pas se partager les enfants de la classe, elles se sont partagées les jours de la semaine.
Camille est une petite fille heureuse. Son papa et sa maman s’embrassent beaucoup. Dans sa maison, il y a un jardin et une chambre pour elle toute seule. Bien pratique quand on a deux frères qui vous enquiquinent chaque fois que les copines viennent jouer. Camille a des papis et des mamies, des cousins et des cousines. Luxe du luxe, elle en a même une préférée. C’est Emma, qui est née pas longtemps après elle. Suffisamment pour l’instant pour ne pas avoir encore cinq ans, mais cela devrait s’arranger bientôt. C’est une histoire de calendrier, Camille préfère laisser les grands s’en charger.
Camille a de la chance aussi. Elle le sait, car à l’école, les maîtresses, chacune leur jour, ont parlé des gens qui ont été tués par la grosse vague. Elle a aussi vu une fois à la télé les enfants qui vivent toujours au soleil mais n’ont pas assez à manger. Et puis elle se souvient comme sa copine Raphaëlle a pleuré quand son papy à elle « est parti pour toujours ».
Malgré tout ce bonheur et toute cette chance, Camille a quand même un gros problème : elle a du mal à s’endormir. Tellement de mal que des fois, cela la réveille en pleine nuit ! Quand vraiment cela devient trop difficile, elle monte dans la chambre de Papa et Maman, sans même prendre le temps de mettre ses chaussons, et se blottit contre l’un ou l’autre. Elle se réveille toujours dans son lit le matin, mais cela va mieux.
Camille réfléchit, réfléchit et réfléchit encore pour comprendre pourquoi elle n’arrive pas à dormir. Il faut dire qu’elle a le temps dans son lit, puisque le sommeil ne vient pas. Un soir enfin, elle réussit à dire à sa maman ce qui la gêne : « J’ai un fil dans la tête, et le soir, quand je me couche, il fait un nœud. C’est pour cela que je ne dors pas ».
Maman est prise au dépourvu. Elle connaît les nœuds sur la tête, elle a même une bouteille spéciale qui les enlève par magie. Elle connaît aussi les « nœuds dans la gorge », quand on est très émue, et les « noeuds dans l’estomac », quand on est très inquiet. Mais les noeuds dans la tête c’est nouveau, mais alors tout à fait nouveau pour elle.
« Je crois que quant tu te couches, que tu installes confortablement ta tête sur l’oreiller, avec tes deux doudous, tu te sens bien, lui dit Maman. Le noeud ne devrait pas se faire dans un moment si doux, il devrait plutôt partir ».
En général, Maman connaît toujours les bonnes réponses. Elle sait pourquoi le soleil se couche plus tard le soir en été, pourquoi il faut faire chauffer l’eau des pâtes avant de les cuire et pourquoi la petite souris ne passe que la nuit. Mais là, elle se trompe. Cela ne marche pas. Camille ne lui en veut pas. Une maman, ça ne doit pas être forcément championne de tout.
La voilà, la solution : trouver le champion des nœuds. Il saura lui expliquer comment enlever celui-là. Oui, mais qui est-ce, et où le trouver ? Camille pense alors à Elia. Sa copine est déjà partie en voilier avec ses parents, et lui a dit que sur les bateaux, il y avait des cordes et des nœuds.
« C’est vrai qu’il y en a plein, lui confirme Elia. Mais ce sont des nœuds exprès, que Papa fait et défait lui-même. Il les fait même tous différents, pour qu’un noeud ne prenne pas la place d’un autre ». Elia réfléchit un instant : « Je me souviens qu’il y aussi les noeuds qui font que le bateau avance plus ou moins vite, mais ça ne doit pas être ceux qui t’intéressent ».
Il faut trouver quelqu’un qui défait les nœuds mieux qu’il les fait… Il y a bien le tour de magie de Tonton, qui souffle sur sa corde pour qu’elle se démêle. Camille attend la semaine, le dimanche, le repas du dimanche, le dessert du repas du dimanche, et quand enfin Tonton propose aux enfants de faire un tour de magie, Camille regarde le nœud disparaître, et demande à Tonton comment il fait. Et comme il comprend que c’est important, mais vraiment important pour elle, il lui montre que c’est en fait un noeud qui n’en est pas un, que c’est un noeud qui s’appelle truc.
Camille est déçue. Et comme à chaque fois qu’elle est déçue, Papa s’en rend compte. Il s’approche d’elle, la prend sur ses genoux, et lui dit : « Quand tu te couches, ce fil dans ta tête, tu ne peux pas l’empêcher de bouger ? Pour qu’il ne s’emmêle pas ? »
Non.
« Et à quoi tu pense, quand le nœud se fait ? »
Sais plus.
« Essaie de t’en souvenir ».
Camille se rappelle que des fois Maman s’est fâchée. Ou que son petit frère a encore barbouillé son coloriage. Un jour, Papy Guy était à l’hôpital pour que les docteurs regardent son cœur. - Y’a que les docteurs qui ont besoin d’opérer pour voir le cœur de Papy Guy, c’est un bon ! - Ce soir-là, le noeud était vraiment très gros. C’était juste avant que Camille explique à Maman.
« Alors, ce sont des nœuds de soucis, petits ou gros », explique Papa.
Voilà, il a fallu que Camille accepte que ce sont ses soucis qui ralentissent le dodo. Oh, des petits soucis, elle le sait. Ni des vagues, ni la guerre, ni tout ça. Le soir, quand elle se couche, elle essaie de ne pas penser au fil qui se balade, de ne pas regarder, une fois que ses yeux sont fermés, le noeud qui se forme.
Seulement, Camille est une petite fille qui pétille. Alors la fin de son histoire ne peut pas être triste. Même pas un peu.
Alors un jour, dans la salle de gymnastique de l’école, elle aperçoit des grands (vraiment grands, au moins huit ans comme son grand frère), qui grimpent à la corde.
Et justement, il est là, Thomas. En regardant mieux, Camille remarque que la corde de son frère est pleine de nœuds. Il pose les deux pieds dessus, et, telle une grenouille, tend soudainement les jambes pour atteindre le nœud suivant. Le copain, à côté, a une corde toute lisse. Et il n’arrive pas à grimper.
Tout d’un coup, Camille comprend. Ce fil, dans la tête, bouge et vit le soir comme elle dans la journée. Parfois, il fait des nœuds, et c’est désagréable quand il se serre. Mais grâce à tous ces petits nœuds, Camille peut toujours grimper plus haut. Elle ne redescendra pas et ne devra pas recommencer.